1 Chef du Pont




Je ne me rappelle plus très bien comment tout a commencé. Probablement avec une chanson des Beatles passant à la radio. Je suis né en 53, comme on disait alors, l’année 2000 n’était pas encore passée par là. J’ai grandi à Chef du Pont, village dans les marais de Carentan, en Cotentin, à 4 km de Ste Mère Eglise, petite ville immortalisée par le film de la 20th Century Fox, "Le Jour Le Plus Long".

Chef du Pont, pour ce qui nous intéresse : une église, 2 laiteries, une fabrique d’andouilles (puanteur assurée), une gare, une épicerie, une quincaillerie, une école des filles, une école des garçons, des marais, une décharge à ciel ouvert donnant sur un étang fétide près de la voie de chemin de fer : le lieu le plus attractif du village, et de loin ! 

Cet étang, un jour, a vu surgir un radeau que j’avais construit avec deux ou trois copains, fait de gros bidons de gaz-oil maintenus par des planches, qui naviguait entre des saules pour observer (effrayer) les poules d’eau.

C’est là aussi que j’ai préparé mon premier repas en solitaire en caillassant un pauvre moineau à l’aide de mon élingue et en le carbonisant à la broche façon indien. Plus tard je serai scout et connaîtrai tous ces “plaisirs” à une autre échelle…

La quincaillerie elle, est remontée de plusieurs crans dans mon intérêt  quand j’ai su que, sur l’insistance de maman, institutrice à l’école des garçons, je pouvais commander le disque que j’avais entendu à la radio et le recevoir trois semaines après…
Je ne me suis jamais autant intéressé aux casseroles et autres accessoires  de cuisine que pendant ces trois semaines. 

Quand le disque est arrivé : Les Beatles Eight Days a Week  45 tours Odéon Soe 3764, je suis entré dans ma galaxie pour ne plus la quitter. 

Papa était le directeur de l’école des garçons de Chef du Pont. La vie à la maison était rythmée par les vacances scolaires. Catherine, François et moi sommes nés chacun à deux ans d’intervalle. Je suis l’ainé de cette fratrie. Pendant les vacances l’école des garçons était pour nous seuls… Sensation unique jamais ressentie depuis. On pouvait pousser les pupitres dans un coin de la classe de papa et monter le circuit du train électrique tout en écoutant Ticket to Ride à fond sur le Teppaz. Le sentiment d’être privilégié ne m’a jamais effleuré. 




Pendant le grand vide de juillet/août, toute la famille partait “en session” aux quatre coins de la France. Les sessions  étaient des séminaires de huit jours, parfois plus, organisés par les “Équipes enseignantes”. Au retour nous en profitions toujours pour rendre une visite de trois semaines aux parents de Papa à “La Vigerie”, propriété située à quelques kilomètres de Bordeaux, où ma grand mère était concierge/femme de ménage. Nous étions donc partis assez longtemps. Notre retour à Chef du pont se passait toujours de la même façon : de grands élèves, non prévenus de notre arrivée, profitaient de la grande cour goudronnée de l’école pour jouer au foot, jeu formellement interdit par papa pendant le reste de l’année. Les malheureux étaient pris la main dans le sac. En un rien de temps, tout ce petit monde déguerpissait de notre école, en espérant ne pas avoir été repéré… 

L’endroit que nous n’avons jamais réussi à apprivoiser était le bureau de papa justement appelé le bunker par Vincent mon petit frère, petit dernier de la lignée arrivé sur le tard, 12 ans après moi.. Ce surnom arriva donc bien plus tard dans une autre maison…

Le bureau de Chef du Pont sentait fortement le tabac froid et l’interdit. Papa bourrait sa pipe au tabac bleu que j’allais chercher à l’épicerie de madame Ledouit, à cent mètres de l’école. L’interdit était partout : ne toucher à rien était plus sûr. D’ailleurs passer la porte du bureau et on se sentait déjà en faute. Une table carrée faite par mon oncle Robert, menuisier, l’un des frères de maman, lui servait de bureau, elle était encombrée mais assez rangée. Pratiquement tous les meubles que nous avions à  Chef du Pont étaient l’œuvre de Robert. Maman a toujours eu un grand sens de la famille. Pour nous, le bureau/bunker est resté une des images fortes associée à la psychologie de papa.

L’énervement très rapide qui arrivait quand on ne comprenait pas assez vite était aussi chez papa une constante forte, comme si sa disponibilité était exclusivement réservée à ses élèves.
Un jour, en débarrassant la table, tâche chez nous exclusivement réservée aux enfants,  saisissant le plat de viande, je demande à la cantonade : où je mets ça ?. Papa, excédé : à la poubelle ! D’un pas décidé je me dirigeai vers le garage, l’employée de maison me rattrapa avant qu’il ne soit trop tard. 
Ne jamais dire devant papa que nous avions une bonne à la maison, il vous aurait foudroyé du regard, le seul mot admis était : employée de maison. Chez les Lapouge on ne badine pas avec la dignité des gens. 
J’allais oublier : c’est dans le bureau de papa que j’ai eu mon premier et seul cours d’éducation sexuelle. Papa, l’air grave et mal à l’aise : Jean, avant que tu ne partes (en sixième), contrairement à tout ce que tes camarades pourraient te raconter , les enfants ne naissent pas dans les choux, ils sont le produit de l’union d’un homme et d’une femme. Fin du cours. Débrouillez vous avec ça.

Le Teppaz servait aussi à Maman pour écouter les 45 tours de Jacques Brel, Guy Béart, les Frères Jacques et le Père Duval. Catherine, ma sœur cadette de deux ans donc,  l’accaparait de temps en temps pour une séance “yéyé” avec Adamo et son chanteur favori, Frank Alamo : Biche, oh ma biche, lorsque tu soulignes au crayon noir tes jolis yeux…
Les 33 tours de classique, c’était dans le bureau de Papa, les disques tournant dans le meuble Pathé Marconi, La Voix De Son Maitre.  


Odette et Henri Lapouge dans la classe d'Odette, débarrassée des petits pupitres d'élèves, laissant voir le sol en gerflex lors d'un dimanche Portes ouvertes aux réalisations des élèves de l'école des garçons. On peut voir sur le mur un bout des innombrables dessins d'enfants conçus dans cette classe.


Dorénavant, le Teppaz sera remonté dans ma chambre et réquisitionné pour jouer exclusivement mes premiers disques. Je remontais aussi le transistor que mes parents utilisaient le midi pour écouter le soir dans mon lit, sous les couvertures et dans le noir, les stations musicales de la BBC et les radios pirates anglaises qu’on captait très bien dans la région. Le coin de la chambre où je dormais était tapissé de photos des Beatles, en doubles pages, la plupart prises dans le magazine Paris Match. 
Une seule exception : au milieu des Beatles, plus tard apparaîtra un grand poster de Julie Driscoll, premier signe d’une puberté naissante, les spécialistes des années 60 apprécieront…

Écouter de la musique, c’est bien, en faire c’est mieux. 

Maman achetait la lessive en barils ronds pour la machine à laver. Machine qui avait nécessité la construction d’une chape de béton pour la river au sol pendant l’essorage ! Je me demande encore comment notre linge a pu résister à tant de violence. Les barils étaient en carton et appréciaient mal le fait d’être sertis de tissu blanc pour ressembler à des tambours, ils ne produisaient aucun son, mais sur la photo l’illusion était parfaite.

Dans le monde où je voulais entrer, on ne peut être crédible que si on a un nom de groupe.
Avec l’aide de mon petit frère François le nom du groupe a été vite trouvé : des sous vêtements trainant malencontreusement par là, le groupe s’appellera The Slipers. Ayant vite fait d’angliciser le mot, la trouvaille trouva sa place fièrement sur le tissu/baril/grosse caisse. Je serai donc batteur.








2 Le pensionnat de Valognes



Photo Mathon dans les années 66/67

Le CM1 et le CM2, à l’école des garçons de Chef du Pont étaient tenus par Henri Lapouge, papa donc. C’est vous dire si j’avais été préparé pour mon entrée en sixième ! 

En septembre 64 j’aurais dû poursuivre mes études en 6ème à Sainte Mère Eglise, patrie de  mon dentiste, boucher notoire (Dieu que j’ai souffert !)
Mes parents en ont décidé autrement : mon caractère indépendant les incitait à penser qu’il valait mieux m’envoyer en pension. Comme toujours, ils ont eu raison.

Valognes est à 40 km de Chef du Pont, donc une vraie pension. Un monde en soi, un nouvel horizon.

Papa me conduisait jusqu’à la porte du collège dans sa DS, très tôt le lundi matin (pas un mot dans la DS), je prendrai la micheline le samedi à quatorze heures en gare de Valognes pour retourner à la maison. Vous savez déjà qu’il y a une gare à Chef du pont. J’ai un amour immodéré pour les trains, amour inassouvi jusque là, bien que mon oncle Maurice, frère de mon père, m’ait donné, chaque fois qu’on se voyait, ses exemplaires de ‘’La vie du Rail’’ : il était Chef de Gare à Versailles, en ce temps là en Seine et Oise. Mon avenir était d’ailleurs tout tracé, pour la famille je serai conducteur de trains.

Dire que je me suis fait à la vie en pension est un euphémisme : j’ai adoré. Et vous allez voir pourquoi.
Les débuts sont toujours un peu difficiles, mais quand on a appris les codes, la vie en pensionnat n’est pas sans avantages.

A Valognes, les classes allaient de la 6ème à la terminale. Il y a une différence d’âge énorme entre le bizut qui entre et celui qui  redouble sa terminale.
Pour être vraiment en sécurité il faut un parrain.
Je l’ai trouvé en la personne de Melon. Personnage excentrique, très grand, de quatre ans mon ainé, doté d’un humour  encore inconnu de moi, l’humour anglais.

J’ai eu un passe à Valognes : la musique. Mais j’anticipe...

Le premier trimestre m’a confirmé, si besoin était, l’efficacité de mon père dans son métier d’instituteur, mon bulletin de notes affichait un 18 de moyenne générale et les félicitations.

Dans la vie autarcique des internes du Lycée il y avait aussi les activités extra scolaires regroupées sous le nom de clubs. Club échecs, club cinéma, club musique etc.
Club musique donc. On a beau être dans la Manche, il ne reste pas moins qu’on est en France. Il faut s’inscrire. 
Les feuilles passent avec des listes de noms. Les activités ont lieu le samedi après midi, je devrai donc prendre le train du soir.

Le club musique était animé par un pion. Le plus vache et antipathique des pions alentour. Il était animateur du club musique car Monsieur se targuait d’être chanteur. Son répertoire : Yves Montand, les feuilles mortes se ramassen-tt-àà- la pêêlle...

La liste. 
- Lapouge !
- Qu’est ce que tu sais faire ?
- De la batterie
- Ah intéressant !

Maintenant, dans la pièce, je vois une vraie batterie dorée, rutilante, beaucoup plus grosse que ce que j’avais pu imaginer, menaçante presque, très impressionnante en tout cas, bien loin de mes barils de lessive. 

À la maison, je me servais d’un abat jour en tôle émaillée en guise de cymbale, juste pour le look car le son était affreux, bien loin du son des cymbales de Ringo. Pour la première fois aussi, je voyais une grande et belle cymbale, visiblement toute neuve.
- Montres moi ce que tu sais faire ! 

J’enfourche le siège. J’ai oublié de vous dire que je suis gaucher non contrarié, terme technique employé souvent par mes parents adeptes de la Pédagogie Freinet.

Je commence à taper comme à la maison, donc à l’envers, la baguette gauche sur la cymbale et la baguette  droite sur la caisse claire quand tout à coup j’entends un grand éclat de rire et un ‘‘Bon c’est pas la peine !’’ qui me fait rougir de honte et qui est certainement au début de mes cauchemars musicaux récurrents.

J’ai abandonné le club musique et préféré passer mes samedis après midi à la décharge à essayer de faire imploser des postes de télévision à coup d’élingue. 

La vie réserve quelque fois des surprises.
J’apprends que le premier trimestre se clôture par une ‘‘sauterie’’. Terme que je trouve maintenant inapproprié pour désigner une soirée musicale ayant lieu dans un Lycée mixte !
La sauterie donc est prévue après un repas du soir avant les vacances de Noël, dans l’aile du dortoir des filles, endroit interdit d’habitude et pourtant très convoité par les redoublants du second cycle !

Il faut s’imaginer une grande salle de classe dans la pénombre transformée en club, le bureau avait été enlevé de la petite estrade où trônait maintenant la batterie dorée et ce que je percevais comme un amplificateur de guitare électrique. Mon excitation était à son comble, les filles commençaient à entrer parfumées et fringuées pas comme d’habitude. Maman ne se parfumait pas.

Je commençais à être rouge comme une crête de coq et avais très peur que cela se voie. Je n’étais pas au bout de mes peines. Des individus commençaient à s’affairer à coté des instruments. 
Je reconnus Yves Montand flanqué d’un autre pion qui enfourcha mon siège de batterie et deux guitaristes étrangers au petit monde du Lycée. 
J’ai appris plus tard que ce groupe ainsi formé (sans Yves Montand) se produisait de temps en temps en dehors du Lycée et jouait les morceaux des Shadows.

Pour le moment le groupe déroule essentiellement de la chanson française jusqu’au grand moment : les feuilles mortes se ramassen-tt-àà- la pêêlle...
Soudain, le batteur, pour une raison inconnue, quitte la scène laissant Yves Montand perplexe...Je vois le chanteur venir vers moi en me demandant de me diriger vers la batterie. J’ai de la chance, le morceau suivant est un slow que je m’empresse d’exécuter à l’envers. 
Plus tard j’ai eu droit à un petit sourire d’approbation. Je tenais d’un coup ma revanche et la protection d’un pion et pas des moindres.

Une conséquence inattendue est venue perturber mon équilibre psychique presque retrouvé après le sourire d’ Yves.
Le comportement des filles à mon égard avait changé. Mais c’est grâce à Melon que j’ai eu mon premier coup de foudre.

J’ai fait ma croissance l’année de ma 6ème, prenant 1 cm par mois, atteignant plus tard à 13 ans, 1m 72. 
Melon, qui m’avait pris en amitié me dépassait encore d’une demi tête. 
Lors de nos promenades dans le parc du lycée, Melon m’appris qu’une des copines de sa classe en pinçait pour moi. Jean : tu as un plan ! Terreur. Me défiler, perdre la face et du coup mon protecteur, pas question. Il arrange le coup, on doit se voir. 

Elle arriva de loin, se rapprocha, planta ses yeux dans les miens : un éclair et des frissons me parcoururent tout le corps, elle était très jolie mais aussi effrayée que moi... Cette nouveauté de l’émoi physique me paralysa. Une gène palpable s’instaura entre nous, elle ne mettra pas longtemps à se rendre compte de mon immaturité. Je ne serai pas celui qui prendra tous les risques, en bravant les surveillantes, pour la rejoindre dans le dortoir des filles.

Le jour de repos coupant la semaine était en ce temps là le jeudi. Les internes avaient la permission de sortir en ville l’après midi, entre deux heures et six heures, seulement si les parents avaient signé le bon de sortie. Les miens avaient bien signé mais il était entendu que je me rende chez les D., relations Équipes enseignantes de mes parents, habitant en ville. De la famille D. je détestais à peu près tout. Le père, la mère, les deux fils, leur chat, leurs habitudes, leur façon de s’habiller, de parler, tout. Leur second fils, un an plus âgé que moi était scout. Pourquoi Jean n’irai pas avec lui remplir son jeudi après midi par des activités ‘’pratiques” et saines ? 

Des scouts j’ai détesté à peu près tout. Tout ce qu’on faisait était teinté (souillé) d’idéologie. Le jeune D. était une tête de lard, un sale gosse gâté et caractériel. Le croirez vous, mes parents et les D. ont eu l’idée que je parte en vacances avec eux et leur fils dans le Luberon, où ils avaient une résidence d’été. J’avais, d’après les D., une influence bénéfique sur leur damné fils… Imaginez un mois de tente deux places avec ce connard. Les pires vacances de ma vie. Heureusement, je suis rentré par le train tout seul, d’Avignon à Paris. J’avais demandé à mes parents de faire le voyage en Mistral, ils me devaient bien ça. 

Plus tard avec les scouts, je ferai la descente de la Vire en radeau et une expérience de trois jours “survie en forêt” qui adoucirent un peu mon ressentiment. Dans mon année de  troisième, le chef voulut me reprendre en main et organisa une sortie “rappel des fondamentaux idéologiques” seuls, lui et moi, au bord de la mer. Ce jour là les Scouts de France m’ont définitivement perdu.

3 Daniel

L’année de cinquième commence toujours par une refonte des classes suivant les options choisies par chacun.
Mes parents avaient choisi latin, Daniel aussi. Comment Daniel et moi sommes devenus amis, je ne m’en souviens pas.

Le club musique avait été rebaptisé club guitare et disposait de deux guitares. L’animateur du club : un grand copain à Melon. Grand fan de Brassens, il se contentait de gérer les deux guitares, l’une à cordes nylon, l’autre à cordes acier avec des ouïes, comme un violon.
En fait il ne gérait qu’une seule guitare, gardant celle à cordes nylon toujours pour lui. L’endroit redevenait fréquentable.


Daniel et moi avons appris la guitare ensemble. Chez lui, comme j’ai pu m’en rendre compte assez vite, Daniel possédait déjà une guitare. Elle avait été construite par un de ses grands frères et avait une taille anormalement grande.  Elle était d’une couleur marron foncé et Daniel disparaissait complètement derrière la caisse de résonance, elle ressemblait aux grandes guitares mexicaines qu’on pouvait entrevoir dans le feuilleton télévisé “Zorro”. Sa maman lui a très vite acheté une guitare électrique, bon marché.
Celle là faisait peine à voir, beaucoup plus petite que la marron, presque trop petite, elle avait la crosse des mécaniques qui penchait vers l’avant, ce qui lui donnait un air souffreteux. Par contre elle était rouge à paillettes et mapple neck. C’était une planche. Qu’importe, nous avions déjà réparti les rôles, je ferai l’accompagnement à la guitare corde acier et lui les mélodies avec sa planche. Ça marchait pas mal. 



La guitare avec des ouïes empruntée pour les vacances (67)

J’ai vite fait des progrès en accompagnement, Georges Brassens m’ayant très vite conseillé un recueil des principaux accords de guitare édités en diagrammes dans la collection Marabout. Le copain de Melon, la pédagogie, la transmission, c’était pas son truc. 
Je pouvais maintenant, moi aussi, m’entrainer à la maison car mes parents m’avaient offert une guitare d’étude montée en cordes nylon qui ressemblait plus ou moins à une guitare classique. On avait été la choisir et l’acheter chez Havet Photo, à Cherbourg. Il y avait un sigle écrit sur la table d’harmonie : Troubadour. En 82 on me la volée. Une “gentille” élève à qui j’avais prêté cette guitare pour qu’elle puisse s’entrainer chez elle n’est plus jamais revenue prendre de cours…

Nous commencions à avoir un petit répertoire. For No One des Beatles était l’une de nos réussites préférées.
Daniel et moi avions trouvé notre régime de croisière. Nous faisions tout ensemble, impossible de nous séparer. L’allée circulaire bordée d’arbres du parc nous était pratiquement réservée, quand nous ne jouions pas au club guitare dont nous avions maintenant les clefs, nous parlions musique dans le parc. 
Notre couple devenait légendaire.

Les vacances allaient elles nous séparer ? J’en parle à maman. Elle a la solution. On ira chez madame Renault, la maman de Daniel, lui demander si je pouvais passer une partie des vacances chez elle. Je dis elle parce que lui, son père le pauvre, avait les poumons pris par le ciment de la cimenterie de Montebourg et n’en avait plus pour longtemps.

J’ai passé le mois de juillet et le mois d’août chez Daniel. Certainement l’un de mes plus beaux souvenirs de vacances. La maman de Daniel était une femme enjouée et très optimiste. La vie coulait facilement, tous les jours se ressemblaient, une impression d’éternité. 
On dormait dans la même chambre. On avait l’habitude. 
Le petit frère de Daniel, une boule de muscles, s’entraînait pour être coureur cycliste, il était la fierté de ses grands frères, partis du nid familial depuis longtemps. Quand il revenait de l’entrainement, à n’importe quelle heure, il fallait qu’il mange : outre une ventrée de pâtes, il se préparait une omelette avec douze œufs… 
Les après midi on allait à la pêche, la plupart du temps on ramenait des tanches pêchées dans le Merderet, la rivière de mes marais, elles avaient un fort goût de vase mais quelquefois on arrivait à attraper des anguilles : le soir, festin garanti. 
Cerise sur le gâteau, les Renault pourtant d’origine modeste avaient la télé. Daniel et moi la regardions tard. Je me souviens d’un cycle Wc Fields mais le plus souvent c’était Fernandel et compagnie. 

Tout a une fin. Septembre, retour à la pension. On nous sépare, la maman de Daniel avait choisi en deuxième langue l’espagnol, mes parents l’allemand. Idiot, manque de coordination. Il nous restait les inter-classes, les études et le dortoir.

Jean Émile a dû débarquer au lycée l’année de notre 4ème. Un peu plus âgé que nous, c’est un des personnages les plus étranges qu’il m’ait été donné de rencontrer. 
Pianiste aux longs doigts, peau très blanche, grand, un esthète. Cultivé. Spécialiste de Dali et traducteur de Dylan ! Ma galaxie s’est étendue de quelques années lumières. Ma niaiserie raccourcira d’autant. C’est lui qui me donnera accès à la grande ville : CHERBOURG.


Avec Jean Émile tout change. Toutes les choses qu’il induisait ne pouvaient pas tenir dans mon petit monde, ça craquait de partout. Je pris l’habitude d’aller à Cherbourg, chez lui. Enfin chez lui c’est vite dit. À mes parents, oui, c’était vite dit.

À suivre  4  Cherbourg                                                                                                                         

4 Cherbourg

Mon dossier secret que ma mère a bien dû parcourir...


J’ai appris à m’arranger avec la vérité, surtout avec maman. 

Papa avait des choses beaucoup plus importantes à faire que m’écouter. 
La vérité, je la distillais au gré des opportunités.

La référence culturelle, entre autres à la maison, c’était le Courrier de l’Unesco et Croissance des jeunes Nations, revues mensuelles, les anciens numéros étaient disponibles dans les WC à l’étage.  Papa lisait le Monde à table, en écoutant les nouvelles à la radio et, avec maman, ils commentaient les absurdités du monde. 
Ils étaient militants tiers mondistes.
Nous, les enfants, n’avions pas le droit de commenter. Qu’aurions nous pu dire d’ailleurs sur la guerre d’Algérie, l’affaire Ben Barka ou l’attentat du petit Clamart ?

Le dimanche maintenant, je prenais la micheline pour Cherbourg vers midi. Mais avant il y avait la messe.

À 10 heures tout ce que Chef du Pont et alentours compte de catholiques pratiquants s’engouffrait dans la petite église au bout du village. Il n’y avait pas d’appréhension particulière à aller dans cet endroit, car tout se déroulait toujours de la même façon, avec les même gens. 
Il y avait le directeur de la Laiterie coopérative, sa femme et ses deux enfants, un couple d’agriculteurs de Carquebut, avec leurs quatre enfants, pour ne nommer que les plus proches. 
Manquaient à l’appel le directeur de l’usine (surnom de la deuxième laiterie, industrielle celle là), sa femme et sa fille dont j’étais secrètement amoureux. Une famille de non croyants, certainement.

Au beau milieu de la messe, je me levai pour rejoindre l’autel car il y avait lecture des évangiles.
Sur un beau pupitre en bois, un grand livre, les pages en papier bible, était ouvert à l’aide d’un filet rouge à la page de la lecture du jour. Je découvrais le texte en le lisant, ne comprenant absolument rien de ce que je lisais. 
Puis retour au banc. 
Bénédiction avec l’encens, chant final, maman y mettait tout son cœur, les Dalmont (nom de jeune fille de maman) sont doués pour le chant. Aux cantiques, mes oncles étaient insurpassables.  
Il me restait peu de temps pour rejoindre la gare et ma micheline.

À la gare de Cherbourg je ne rejoignais pas toujours le domicile de Jean Émile. J’y allais au gré des rendez vous que nous nous donnions. 
Le temps était à moi, jusqu’au train du retour. 
J’avais aussi la ville pour moi, mais quoi faire un dimanche après midi à Cherbourg.

Quand on cherche, on trouve.
Direction le quartier chaud, la rue de la Paix.

Continuant la rue de la Paix il y a la rue de l’Union. Un numéro sur deux est un bar à marins, rempli de jeunes garçons parlant étranger, souvent le russe, en escale au port de guerre. Sur la gauche, au début de la rue de l’Union je remarque une porte cossue avec l’inscription : LE CLUB de CHERBOURG et en plus petit : Club Privé. 

A 15 heures la porte s’ouvre. Imaginez un Pierre Doris en survêtement de sport, se dandinant sur le pas de porte avec un large sourire, regardant la droite et la gauche de la rue pour scruter la clientèle. C’est le patron. Il est immense, il remplit la porte. 
J’ose, j’ose pas, il faut passer le patron. Il esquisse un petit pas de côté et me laisse entrer. 

On dit : le monde de la nuit. C’est tout à fait vrai. Dans la pénombre, surtout venant du dehors, on distingue à peine dans la première salle en longueur, le bar avec ses robinets à bière en cuivre rutilant, puis tout de suite un petit sas donnant sur une piste de danse carrée. Sur la droite, un peu en biais le matériel d’un groupe de rock. Une batterie Ludwig entourée de deux Marshall trois corps et d’un micro pour le chant. Les Médiums vont jouer tout à l’heure. 

Le club se remplit d’une faune inconnue, filles et garçons représentant pratiquement la mode qu’on pouvait trouver outre manche à Londres dans Carnaby Street, Soho. Enfin les musiciens arrivent : un trio, Le Trio. Guitare, basse, batterie. Le guitariste arbore une chemise à jabot façon Louis XIV sous une redingote bleu nuit au col luisant à cause des cheveux longs tombant sur les épaules, jean serré, boots rouges. Cette tenue vestimentaire reste pour moi, encore aujourd’hui, la tenue ultime du guitariste rock.

I’m so glad, I’m so glad, I’m glad, I’m glad, I’m glad : les paroles et la musique sont d’un américain obscur, reprises par les Cream, les Médiums ont commencé à jouer.
J’ai découvert grâce au guitariste Yves Botomisi, dit Boto, l’univers du blues anglais. Quand j’ai vu Boto tirer sur les cordes pour obtenir ce son bluesy caractéristique, un monde inconnu s’est ouvert devant moi, une révélation, mieux une révolution ! Boto savait tirer les cordes comme personne. Quand j’ai osé lui parler et lui demander comment il faisait, il m’a montré sa main gauche et ses doigts jaunis, pas seulement par la cigarette mais aussi par la corne. Il m’a fait toucher le bout de ses doigts, c’était de l’acier. Pour l’instant, ce que je voyais sur ce bout de scène restera à jamais gravé dans ma mémoire. C’est comme si j’avais vu Hendrix et Clapton en même temps, avec cette élégance qu’avait Boto de bouger appartenant  seulement à ceux qui ont le tempo naturel ; Il se déhanchait d’une façon particulière, lente et presque féminine… Ses interprétations de Fire et Hey Joe d’Hendrix étaient proprement époustouflantes. Mes disques de chevet seront maintenant pêle-mêle, Disreali Gears des Cream, Are you experienced de Jimi Hendrix, A Hard Road de John Mayall etc.


Les Mediums 1968, Yves Botomisi dit Boto à gauche de la photo


Les Médiums n’étaient pas les seuls à jouer au Club de Cherbourg, il y avait aussi les Hawks. J’aimais moins les Hawks. 
Ils avaient pourtant un bon chanteur à coffre dans la lignée d’un Eric Burdon. Leur House of the Rising Sun était d’ailleurs très bon, ils avaient leur morceau fétiche, Gloria, des Them, mais ils s’étaient plutôt spécialisés dans les reprises de Rhythm and blues (In The Midnight Hour etc.) 
Dommage que le guitariste, qui possédait une merveilleuse Telecaster sunburst, ne connaisse surtout que l’accord de fa, qu’il décalait sur tout le manche.

Boto avait une Fender Mustang, mais chez lui la marque et la qualité de la guitare n’avaient absolument aucune importance.

Je suis devenu un habitué des dimanches après midi du Club de Cherbourg. J’ai essayé une fois le club le soir. C’était déjà plus compliqué avec maman de trouver une bonne raison de découcher et puis j’ai tout de suite vu qu’au club ça pouvait devenir glauque, voire dangereux !
Le club bon enfant que je connaissais l’après midi se transformait en bar louche, adapté à la clientèle du quartier. L’ambiance était électrique, dû certainement au comportement quelquefois agressif des marins entre eux. Des débuts de bagarre pointaient de temps en temps, vite calmés par le patron et son homme de main. Des filles très maquillées, perchées sur les tabourets, discutaient et buvaient avec les marins. La seule chose que j’ai su faire, dans cet endroit devenu hostile, c’était de commander un croque monsieur, on me l’a servi au bar, ce qui renforça son côté incongru. 
La musique que distillaient les baffles de la stéréo était du rhythm and blues, le même que celui joué par les Hawks… Soudain j’ai vu Boto venir chercher la fille du patron, sorte de grand cheval sexy affublée d’un large chapeau avec ruban façon Longchamp. Je savais où ils allaient. Ils allaient au Café du Théâtre de Cherbourg, lieu plus classe que le club, où Boto avait ses entrées et pavanait. Je les avais déjà vus ensemble au Café du Théâtre quand je déambulais dans Cherbourg sans trop savoir quoi faire. Boto me fascinait, il changeait souvent de fille, je le regardais de la rue et faisais très attention de ne pas me faire remarquer. 
Moi, j’allais de temps en temps dans un petit bar situé dans la rue du casino qui donnait sur le port et qui était équipé d’un scopitone. La chanson déclenchée par les clients qui me revient en premier est Love Me, Please Love Me de Michel Polnareff.

Donc un dimanche après midi, au Club, j’étais au bar en train de boire ma conso gratuite, un Cacolac froid, quand j’entends le patron dire : je suis emmerdé, j’ai personne pour dimanche ! 

Je m’entends lui répondre : 
- je peux peut-être vous dépanner ? 
- Tu fais de la musique, toi ?
- Oui, j’ai un groupe.

Eh bien oui, j’avais un groupe, figurez vous. Jean Émile, Daniel et moi avions formé au lycée un embryon de groupe.

Jean Émile tenait la basse, une Fender precision que sa mère lui avait achetée, la même que dans Highway 61 Revisited, de Dylan. Il avait copié aussi la tenue du photographe sur la pochette, arborant souvent, puis toujours sur scène, un tee-shirt rayé blanc/roux. 
Daniel jouait maintenant de la batterie, une Pearl que ses frères, nombreux, avaient réussi à lui acheter et moi une guitare acquise pour 80 francs à la fille de Madame Ledouit, l’épicière de Chef du Pont.

Mon dieu qu’elle était laide cette guitare ! Une Vaufrey, elle était complètement atypique, construite autour d’un manche en aluminium qui faisait  presque toute la longueur de la guitare. La caisse elle, en plastique bleu flammé noir avec une corne, passait sous le manche ! Une horreur.
Maman, autoritaire : 
- Jean, pour commencer, ça devrait faire l’affaire ! 

Madame Ledouit lui avait affirmé que c’était une très bonne guitare. Maman n’avait aucune raison de ne pas la croire. 
En effet, un jour j’ai vu Boto tirer les cordes sur cette guitare. C’était une très bonne guitare.
Jean Emile se proposa de la repeindre pour gommer l’effet guitare de foire des années 60. Il eu la bonne idée de s’inspirer du style Psychédélique qu’on pouvait découvrir dans les gélatines des light shows projetés au Filmore west lors des concerts du Grateful Dead ou du Jefferson Airplane. Dans son choix de mélange de couleurs le rose était dominant. Pas sûr que j’aie gagné au change…


Notre répertoire : du blues anglais. Parfait pour le Club de Cherbourg.


Un modèle Vaufrey (marque italienne Wandré) identique à ma guitare...sauf la couleur.


Arrive le jour. Sur l’ardoise dehors, devant le club, la date et le nom du groupe : The Openin’s. Notez bien l’apostrophe, ça fait anglais d’un bon niveau. 
J’en ai encore honte aujourd’hui.

Je sens que le patron est un peu nerveux, pour lui, c’est un coup de poker.
La clientèle a l’air au rendez vous, les premières notes commencent, les filles se dirigent sur la piste de danse, le patron se détend un peu.
Vers la fin du dernier set, je me détend aussi un peu et tente un long solo sur la fin d’un morceau, l’inspiration vient,  on finit sous les applaudissements. Le patron avait sauvé son dimanche.
Au moment de partir il me dit : 
- le solo, c’était prévu ? 
- Je lui dis oui 
- Bien.
Malin le patron.







L’année scolaire 67 / 68 a vu surgir un nouveau protagoniste dans le petit monde du lycée de Valognes. Un pion, chanteur, encore. Il nous apporte sur un plateau une saison aux ‘’Enfants de Cherbourg’’. Les Enfants de Cherbourg était une sorte de patronage qui organisait des après midi dansants le dimanche dans un gymnase désaffecté, pour la jeunesse cherbourgeoise modeste.

Mais nous devions d’abord :

1 - l’engager comme chanteur
2 - élargir notre répertoire
3 - acheter une sono et un orgue pour pouvoir prétendre honorer le contrat.

Une chose saute aux yeux, même pour un néophyte : la disparité des gains entre les musiciens.
Papa et Maman à qui j’avais demandé de financer le projet l’ont tout de suite vu.
- Jean ! Daniel et toi ne gagnez rien dans l’affaire ! (le cachet servirait à rembourser la somme avancée par mes parents pour la sono et l’orgue)
- Maman, ça ne fait rien, on ne fait pas ça pour l’argent.
- Bon, mais François (le chanteur) et Jean Emile (le pianiste) doivent nous signer une reconnaissance de dette...
Je nous revois, le groupe, ma mère, mon père, tous dans son bureau transformé en étude de notaire. Moment pénible car je savais comment ça allait finir. 
En effet ça allait mal finir. 

Jouer aux enfants de Cherbourg a eu le mérite de forger notre endurance. Nous jouions de 15 heures à 19 heures avec une pause d’un quart d’heure. Je devais absolument attraper la dernière micheline à 19 heures 30.
François M. était assez beau mec et les filles lui tournaient autour. Cet intérêt ricochait un peu sur le groupe. 
Un jour à la pause, je vois surgir une fille de type asiatique, elle me prend fortement par la main et m’entraine pratiquement de force dans un vestiaire situé en haut d’un escalier. Ferme la porte, me cloue au mur  et me plante sa langue dans la bouche. Une furie ! J’étais tétanisé, sans réaction. Très vite, comme un chat avec une proie morte, elle me laisse tomber et retourne vers la piste de danse.


Dans le programme du groupe commençaient à se glisser des morceaux qui s’éloignaient petit à petit du blues : Nights In White Satin des Moody blues, America des Nice, A Whiter Shade of Pale de Procol Harum, Light My Fire des Doors, Season of the Witch de Julie Driscoll et Brian Auger etc. dont les exécutions étaient grandement facilitées par l’acquisition de l’orgue.
À Chef du Pont, je m’étais mis en tête de relever tous les morceaux de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles. Aucun ne m’a résisté. À Cherbourg j’étais connu comme le guitariste qui connaissait tous les accords de Sgt. Pepper. Mais Boto restait indétrônable.

Malheureusement un événement vint ternir son image.

Après les ‘’Enfants de Cherbourg’’, nous avions réussi à avoir un engagement au “Moulin Normand” le Dancing de Quinéville, situé sur la côte est du cotentin. On jouerait tous les mardis, jeudis et vendredis de la saison estivale. Jean Emile s’était mis à fréquenter la fille du patron du dancing, elle aussi élève au lycée de Valognes. Sylvie était raide dingue de Jean Emile ! 

Nous avions resserré l’effectif du groupe : 
     - Daniel et sa double batterie Pearl, 
   - Jean Emile : basse Fender Precision sur ampli Farfisa double entrée que nous trainions depuis le club de Cherbourg (j’utilisais la seconde entrée pour ma guitare),
     - Jean : guitare Vaufrey sur ampli Vox AC 30. 

Répertoire : blues instrumental + quelques couplets additionnels chantés (par moi)
- Crossroads (Cream)
- All your love (Otis Rush)
- Hey Joe (Hendrix) 
- Sunshine of your love (Brown/Bruce/Clapton), sans chant (superflu)
- Dust my broom (Elmore James) etc.
Nom du groupe : Nashville Skyline (pour les noms de groupe, j’ai toujours fait très fort).

Nous faisions une apparition vers onze heures du soir, une sorte d’animation. Je ne me souviens pas y avoir vu grand monde dans ce dancing, manifestement pour le contrat, Sylvie était passée par là.
Vers les 2 heures du matin Daniel et moi traversions 15 kilomètres de marais en solex pour revenir coucher chez lui, à Hémevez.




Je reviens sur mon matériel : guitare Vaufrey sur ampli Vox AC 30. 

Entre temps, Boto, mon héros, avait réussi à me fourguer son vieil AC 30 pourri pour pas trop cher. 
Il m’avait même fait une démonstration en y branchant ma Vaufrey et j’aime autant vous dire que ‘’ça le faisait ‘’! Cet ampli avait fait le Marquee à Londres (peut être...) et le Golf Drouot à Paris, c’est sûr, j’avais vu les photos ! Cet ampli sentait l’odeur caractéristique du matériel qui tourne : un mélange de fumée de cigarette et de bière que les musiciens renversaient immanquablement un jour ou l’autre en posant leurs verres dessus. L’odeur des dancings d’autrefois.  
Un an plus tard je reçois un coup de téléphone de Boto chez mes parents à Granville,
- Jean je suis emmerdé, j’ai un concert super important, mon Marshall vient de me lâcher, peux tu me prêter mon AC 30 ?
- Bien sûr, passe le prendre chez Jean Emile…

Je n’ai plus revu son AC 30 Vox. Ni Boto, décédé prématurément, plusieurs années plus tard, dans une quasi misère. Il n’aura pas eu le temps ni l’opportunité de devenir le guitariste de Johnny Hallyday, son ambition cachée…


François M. lui, était parti avec la sono et l’orgue sans laisser d’adresse.