10 ECM

La bande déclenchant l’enthousiasme de Klaus Blasquiz se déclinait en cinq morceaux : la suite : Mésopotamie - Le Voyageur Égaré se Noie Incognito - Reprise Mésopotamie, Neuf SongesSoir et Basalte, Errance et Résurgence d’ Errance. Je ne me lassais pas de l’écouter. 

Quand la réponse est arrivée j’étais très heureux mais pas très surpris. Dans ce moment d’euphorie j’ai même eu un réflexe que je regrette maintenant et qui nous coûtera très cher ; pourquoi ne pas tenter plus haut ? Me remémorant la suggestion du musicien / producteur de Paris ayant écouté notre deuxième bande, je commençais dans ma tête à préparer un envoi pour ECM. 
ECM représenterait pour moi la consécration ultime. 
J’avais un bon magnéto pour la copie cassette et la très belle photo du groupe prise par François dans notre grange, celle où l’on voit le groupe en pleine répétition. La lettre de présentation était rédigée en bon anglais par un professeur d’anglais, relation de Christian ou Denis, je ne sais plus... Le tout faisait quelque chose d’assez pro. 

Après la bande n° 3 notre vie musicale était à l’arrêt. Daniel nous avait quitté, répéter à trois n’avait pas trop de sens. Je profitais de ce temps libre pour composer, heureusement j’avais des idées…

Le bal continuait aussi, différemment. Daniel et moi avions vécu la déliquescence de l’orchestre de nos débuts en Dordogne, avec son cortège de sous entendus et la fin inéluctable. Nous n’étions pas fâchés de quitter un J7 pourri surnommé « la bétaillère » et pour cause.
Le J7 était rallongé, trafiqué en trois parties, la cabine de conduite (trois places), la partie matériel à l’arrière, la partie musiciens (cinq places) au milieu. Ce module avait l’intérêt de se transformer au retour des bals en partie couchette quand on jouait loin. 
Un seul inconvénient : il ne fallait pas être claustrophobe. La porte latérale ouverte, deux musiciens (souvent Daniel et moi) devaient se glisser sur de la mousse, puis une planche de novopan devait se rabattre sur eux pour permettre à une autre couche de mousse d’accueillir les musiciens restants. La porte latérale fermée, plus personne ne pouvait bouger ! Un beau matin d’hiver, en voulant me dégager pour sortir, j’ai rencontré de la résistance : mes cheveux étaient collés par le gel contre la paroi du camion.

L’orchestre suivant était plus cool. Plus coté aussi. Je montais en grade.
Les musiciens étaient meilleurs. J’en profitai pour améliorer mon équipement en achetant mon fameux Twin reverb Fender, la référence en terme d’ampli guitare. 

Dans mon nouvel orchestre il y avait deux chanteurs, évidemment : Siegfried, le chanteur français, bordelais, très drôle, spécialiste Michel Polnareff, son hit c’était Lettre à France. Pat, le chanteur anglais, parisien, frisé, longiligne, spécialiste Paul McCartney chantait évidemment les tubes des Wings et quelques Beatles que j’adorais jouer, notamment Drive my car. Ces deux là pouvaient pratiquement tout chanter. Dans leur version de Don't Go Breaking My Heart de Elton John et Kiki Dee (Siegfried faisait Kiki Dee car il chantait très haut), ils étaient incomparables. L’orchestre avait donc une belle notoriété locale. 
Plus tard, Pat fera descendre “son” bassiste de Paris qui devint ensuite mon meilleur ami jusqu’à son suicide en 91. Nos longues conversations éclectiques dans le camion avaient le don d’énerver et de rendre jaloux notre chanteur vedette.

En 79 Pat est parti tenter sa chance en Belgique où il avait trouvé un producteur disco prêt à investir sur lui. En 81, nous avons appris, comme tout le monde, que “notre” Pat était devenu Patrick Hernandez, chanteur disco à la notoriété planétaire, cette fois-ci, grâce à son tube Born to Be Alive.








La première lettre d’ ECM est arrivée en mars 80. La cassette était arrivée endommagée, prolongeant le suspense...
La deuxième lettre est arrivée en mai. Elle avait le mérite d’être très claire.







En la lisant un sentiment de fierté m’envahit doublé d’un sentiment de peur... 
Comment expliquer notre situation ? Leur catalogue était vraiment très impressionnant axé très jazz, trop jazz pour nous. 
Dans la presse française Manfred Eicher avait la réputation d’être un monstre froid dirigiste : qu’allaient devenir mes morceaux ?
Allaient ils passer à la moulinette, sauce ECM ? Non, je ne me laisserai pas faire...
Dans ma tête tout devenait confus, compliqué.
J’ai tardé à répondre. Une autre lettre est arrivée, plus pressante, me forçant à l’action.


D’abord répondre à ECM. Vite. On ne peut pas laisser passer ça. 
Prendre rendez-vous par téléphone. 
Plus facile à dire qu’à faire. 
Heureusement j’ai une petite histoire avec l’anglais. J’aime bien cette langue, j’étais moyen au lycée, pas nul (12 à l’oral au bac). 
Je suis allé deux fois en Angleterre, la première fois en fin de sixième grâce à un échange Valognes / Bournemouth. 
Je suis resté longtemps en relation avec Tom, mon correspondant, si bien que mes parents décidèrent de m’offrir un deuxième voyage pendant les vacances de Noël de ma première. Je devais prendre le ferry au Havre. Mes parents offriront à Tom de passer quinze jours en France pendant les grandes vacances suivantes. 

Au retour, dans la brume des quais du Havre, je me suis fait accoster par un individu genre routard ; il me demanda de le dépanner car il était un peu à court pour rentrer chez lui. Je l’ai reconnu un an plus tard : c’était Magribe, on ne peut pas l’oublier.

Pour le moment, je me trouvai devant une cabine téléphonique de la Poste de Vergt, mon chef lieu de canton, attendant mon tour pour le coup de fil certainement le plus important de ma vie de musicien…

J’avais mon rendez vous en juin. Cela me donnait peu de temps pour préparer d’autres morceaux, demandés de façon insistante par le label. 
Je voulais mettre le paquet. 

Accentuer le côté musique de chambre me paraissait une bonne option. François, aimait particulièrement cet aspect de mon travail. 
J’avais commencé à travailler sur un arrangement de la suite de six morceaux Périodes Ultérieures, Périodes Antérieures, composée à Vendœuvre du Poitou et rebaptisée Périodes I, II, III, IV, V, VI : titre austère pour musique  sérieuse. 
L’instrumentation : guitare classique, hautbois, violon, alto et violoncelle.





Pour cette suite de six morceaux, j’avais décidé que l’enregistrement se ferait dans le salon de notre maison, en fait là où je travaillais tous les jours. Il me semblait que l’acoustique serait plus propice à la musique de chambre. Fidèle à la technique du deux par deux, j’enregistrai sur la première piste la guitare et le hautbois ensemble. Plus tard viendront se greffer le violon, alto et violoncelle.
Les autres morceaux de la bande n° 4 seront réalisés de la même façon que ceux de la bande n° 3.  

La bande fut bouclée juste pour le rendez-vous avec le sentiment du devoir accompli. J’avais de très bons retours des musiciens eux mêmes et surtout de François qui considérait cette bande comme ce que j’avais fait de meilleur.

Restait à honorer le rendez-vous.



La belle photo de François dans l'envoi pour ECM



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire